Société / Économie

Les Français font de la transition énergétique une priorité, mais sont-ils prêts à changer?

Cela reste à démontrer: on parle de changements profonds de leurs modes de vie.

On peut reprocher à TotalEnergies de continuer à investir dans la production d'énergies fossiles, mais il faut être lucide. | Patrick Hendry <a href="https://unsplash.com/fr/photos/6xeDIZgoPaw">via Unsplash</a>
On peut reprocher à TotalEnergies de continuer à investir dans la production d'énergies fossiles, mais il faut être lucide. | Patrick Hendry via Unsplash

Temps de lecture: 8 minutes

Pour son rassemblement annuel des élus et des cadres intercommunaux du 11 au 13 octobre, l'association Intercommunalités de France avait demandé à l'IFOP une enquête auprès des Français et de ses adhérents sur les transitions énergétique et écologique.

Les résultats se sont révélés étonnamment positifs: 82% des Français admettent que le changement climatique aura des conséquences directes sur leur vie dans les dix ans à venir, 85% considèrent que l'adaptation à ce changement doit être une priorité et 67% d'entre eux estiment que les propositions des différents candidats en matière de transition écologique et de lutte contre le changement climatique lors des prochaines élections municipales, départementales et régionales seront tout à fait déterminantes.

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La fin du climatoscepticisme?

Faut-il en conclure qu'un changement d'état d'esprit radical est en train de se produire dans l'opinion et que les responsables politiques n'ont plus aucune excuse pour ne plus mettre la transition écologique au centre de leur action? Ce serait aller un peu vite en besogne.

Un point est incontestable: le changement climatique ne fait plus de doute pour la plus grande partie de l'opinion. Le contraire aurait été étonnant après les records de température qui ont été enregistrés cette année et les catastrophes naturelles qui se sont abattues sur tous les continents (incendies, inondations, etc.). Il n'est pas besoin de réfléchir très longtemps pour conclure qu'il va falloir tenir compte de ce changement.

Ensuite, la question se pose de la responsabilité de ce changement: est-ce un phénomène naturel ou est-ce vraiment l'activité humaine qui en est à l'origine? On pourrait croire que la multiplicité des études scientifiques concluant à la responsabilité humaine a fini par convaincre les climatosceptiques.

Il semble qu'il n'en soit rien. Une enquête Ipsos réalisée dans trente pays représentant les deux tiers de la population mondiale à la fin de l'année dernière pour EDF montrait qu'au contraire, le climatoscepticisme connaissait un regain de vigueur et qu'il était particulièrement marqué en France, avec une progression de 8 points en un an, à 37% des personnes interrogées. L'enquête menée cette année viendra-t-elle atténuer ce constat? On aimerait le croire.

À questions ambiguës, réponses ambiguës

Cette vigueur du climatoscepticisme conduit en tout cas à accueillir avec prudence les réponses au sondage d'Intercommunalités de France. À questions ambiguës, réponses ambiguës: que cache en fait l'approbation massive à l'impératif d'adaptation au changement climatique ou de lutte contre lui? On peut penser qu'il s'agit simplement de reconnaître que ce changement existe et qu'il faut en tenir compte.

S'il avait été demandé de prendre position sur la nécessité pour chacun d'entre nous de réduire rapidement et fortement ses émissions de gaz à effet de serre, l'enthousiasme aurait peut-être faibli dans de fortes proportions.

Enfin, il peut toujours subsister des doutes sur la façon dont chacun envisage cette adaptation jugée nécessaire. Pour prendre un exemple fourni par l'actualité, les réserves d'eau ou bassines agricoles constituent-elles une bonne réponse? Le moins que l'on puisse dire est que les avis divergent sur cette question.

C'est comme si les Français étaient d'accord sur le principe d'une action nécessaire, mais réagissaient mal quand la question se posait à eux.

La question du financement de la transition écologique pose aussi un problème. La réponse est claire dans ce sondage: en priorité, c'est l'État qui doit le supporter (47%), et ensuite, loin derrière, les citoyens les plus riches (17%). En somme, s'il y a des efforts à fournir, c'est à la collectivité et aux autres que la charge incombe.

Il n'est pas étonnant que beaucoup d'élus locaux aient trouvé que ce sondage venait en contradiction avec leur expérience du terrain, où les résistances à la transition écologique sont nombreuses. Tout se passe comme si les Français étaient d'accord sur le principe d'une action nécessaire, mais réagissaient mal quand la question se posait à eux concrètement.

Le rôle des dépenses de l'État

Ce décalage entre les idées générales et la pratique s'explique quand on lit le «budget vert» publié le 12 octobre 2022, dont le titre exact est «Rapport sur l'impact environnemental du budget de l'État». Avant de regarder dans ce rapport le sujet qui nous intéresse aujourd'hui, rappelons tout de même de quoi il s'agit.

Ce document, le quatrième du genre, a pour but de présenter les conséquences environnementales favorables, défavorables ou mixtes (avec à la fois des éléments positifs et négatifs) des dépenses de l'État sur six points: atténuation du changement climatique, adaptation à ce changement, gestion des ressources en eau, déchets, pollution, biodiversité.

Il faut le reconnaître, classer les dépenses de l'État selon ces critères n'est pas aisé: 91% d'entre elles sont déclarées neutres ou ne font pas l'objet d'une cotation. Seuls 56 milliards d'euros sont censés avoir un impact sur l'environnement mesurable: favorable pour 39,7 milliards, défavorable pour 13,1 milliards et mixte pour 3,1 milliards.

Pour compliquer encore la donne, on constate que des dépenses fiscales en faveur du logement sont classées parmi les dépenses «brunes» défavorables parce qu'elles conduisent à une artificialisation des sols. Au vu des problèmes de logement que connaît actuellement notre pays (comme beaucoup d'autres), il est difficile de considérer comme complètement négatives de telles dépenses; il n'est pas possible de juger le budget de l'État à travers le seul filtre de l'écologie.

Il n'empêche que cet examen est très utile et que le «budget vert» comporte un grand nombre d'informations tout à fait intéressantes, en particulier en ce qui concerne la fiscalité écologique (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, etc.) supportée par les ménages.

Les deux grands postes de consommation d'énergie pour ces derniers sont le logement et la voiture. Si l'on regarde l'impact des taxes sur les carburants, les combustibles et l'électricité, que constate-t-on? La fiscalité énergétique (hors TVA) a représenté 810 euros par ménage en moyenne en 2021, 245 euros pour le logement, 565 euros pour les carburants, soit 1,8% du total des revenus. Mais cette moyenne cache de grandes différences suivant le revenu et le lieu d'habitation.

Des inégalités face à la fiscalité écologique

Plus on est à l'aise financièrement, plus on dépense pour le logement et la voiture et plus donc on paie de taxes écologiques. Mais, en proportion de son revenu, l'effort n'est pas le même: pour les 20% de ménages les moins aisés, la fiscalité écologique représente 3,9% du revenu; à l'autre bout du spectre, pour les 20% les plus aisés, elle n'en représente que 1,1%.

En ce qui concerne le lieu d'habitation, une distinction est faite selon quatre zones. On a d'abord la commune-centre d'un pôle urbain, les autres communes qui appartiennent à ce pôle, la couronne de communes autour de ce pôle et enfin les communes qui n'appartiennent pas à l'aire d'attraction d'une ville. Le montant de fiscalité énergétique acquitté par ménage part de 620 euros dans la commune-centre d'un pôle, monte à 725 euros dans une autre commune du pôle et atteint 975 euros dans une commune de la couronne ou 970 euros dans une commune hors de l'aire d'attraction d'une ville. Résultat: cette fiscalité ne représente que 1,5% dans une commune-centre (et même 0,7% à Paris), mais 2,6% dans une commune située hors de l'attraction des villes.

Ce n'est pas un hasard si Emmanuel Macron prend autant de soin à dire qu'il adore la bagnole.

Si la lecture de ces inégalités face à la fiscalité écologique selon son revenu et son lieu de résidence ne vous paraît pas poser un problème majeur, c'est que vous avez complètement oublié les tentatives de hausse de la taxe carbone et l'épisode des «gilets jaunes». Ce n'est pas un hasard si ce mouvement avait touché davantage les zones périurbaines où les revenus étaient les plus modestes.

Ce n'est pas un hasard non plus si Emmanuel Macron prend autant de soin à dire qu'il adore la bagnole et si le gouvernement a fait autant au cours des derniers mois pour compenser la hausse des prix de l'énergie. Il est désormais très clair pour tout le monde que la transition énergétique doit inclure des mesures d'accompagnement des ménages.

Fin du mois contre fin du monde

Mais autant il apparaît normal que les responsables politiques agissent en ce domaine avec discernement et veillent à ce que leurs décisions ne pèsent pas trop sur le niveau de vie des plus démunis, autant on peut s'inquiéter des décisions prises ici et là de ménager la chèvre et le chou et de prendre des mesures à la fois en faveur des énergies renouvelables et des énergies fossiles.

Aux États-Unis, Joe Biden, avec l'Inflation Reduction Act, encourage massivement la transition énergétique, mais, dans le même temps, il demande aux groupes pétroliers d'accélérer la production de pétrole sur le territoire national pour faire baisser les prix et autorise des forages en Alaska.

On peut reprocher au gouvernement de ne pas vouloir taxer les raffineries, mais on peut comprendre qu'il n'ait pas envie de se fâcher avec TotalEnergies.

Au Royaume-Uni, le Premier ministre Rishi Sunak a autorisé la réouverture d'une mine de charbon dans le nord du pays, attribué de nouveaux permis d'exploration pour les hydrocarbures, annoncé le report de l'interdiction des ventes de voitures neuves à moteur essence ou diesel ainsi que le report de l'interdiction de nouvelles installations de chauffage au gaz ou au fioul dans les logements.

En Suède, le gouvernement de droite arrivé au pouvoir en 2022 avec le soutien des Démocrates de Suède (parti d'extrême droite, contrairement à ce que son nom pourrait laisser supposer) a présenté dans son projet de budget pour 2024 une forte réduction des taxes sur les carburants et accepte sans états d'âme une nette remontée des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur des transports jusqu'en 2030.

Un point noir: les émissions dues au transport

Selon le baromètre du Citepa (association sans but lucratif qui évalue l'impact des activités humaines sur le climat et la pollution atmosphérique), les émissions de gaz à effet de serre ont continué à baisser en France au premier semestre, de 4,3% par rapport au premier semestre 2022, avec des reculs de 10% dans l'industrie, de 8% dans la production d'énergie et de 7% dans le chauffage des bâtiments.

Il reste un point noir: les transports. Selon l'Union française des industries pétrolières (UFIP Énergies et mobilités), les livraisons de carburants routiers sur le marché français sont en baisse de 1,3% sur les huit premiers mois de l'année. Certes, cette évolution va dans le sens souhaité, mais elle est encore beaucoup trop lente.

On peut reprocher au gouvernement de ne pas vouloir taxer les raffineries, qui gagnent actuellement beaucoup d'argent (ce qui n'est pas toujours le cas en France), mais on peut comprendre qu'il n'ait pas envie de se fâcher avec TotalEnergies, qui s'est engagé à maintenir le coût de ses carburants en dessous de 2 euros jusqu'à la fin de l'année et au-delà si nécessaire. On peut reprocher à TotalEnergies de continuer à investir dans la production d'énergies fossiles, mais il faut être lucide: si le groupe pétrolier français réduit son offre, des groupes étrangers se feront un grand plaisir de prendre sa place; pour ce qui est de l'impact sur le climat, l'effet serait nul. Une action véritablement efficace doit se situer au niveau de la demande.

Ce n'est pas à l'État de tout faire

Pour cela, il importe évidemment d'aller vite dans le remplacement des véhicules à moteur thermique par des véhicules à moteur électrique. Mais ce n'est qu'une partie du travail à effectuer. La voiture électrique n'est pas neutre sur le plan environnemental. Si l'on a toujours autant de voitures et de camions sur les routes, le gain sera modeste.

Il faut aussi revoir nos modes de vie et l'organisation des transports. Ce n'est pas seulement l'affaire de l'État, c'est aussi celle des collectivités locales et de chaque citoyen. Chacun peut avoir à y gagner: le temps passé dans les transports en commun ou les embouteillages est-il un temps heureux? La réponse est évidente. Des changements profonds seraient souhaitables et la transition énergétique peut être l'occasion de faire une écologie qui ne serait pas punitive.

Alors, il faut se réjouir qu'au sommet de l'État, on prenne les choses au sérieux. Il est bien qu'à Bercy, la puissante administration du Trésor se dote d'une nouvelle sous-direction baptisée «Tréco», d'environ vingt-cinq agents chargés de développer des analyses économiques et des recommandations de politique publique sur les enjeux de transition écologique. Mais il faut aussi que des initiatives soient prises sur le terrain: la transition, ce ne doit pas seulement être une affaire de technique et de technocrates.

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