Parents & enfants / Société

Comment sécuriser les établissements scolaires face au terrorisme?

L'assassinat de Dominique Bernard, professeur de français à Arras, relance le débat sur les portiques de sécurité et protections des établissements scolaires.

Expérimentation d'un dispositif de sécurité dans l'un des lycées Albert-Londres de Cusset (Auvergne-Rhône-Alpes), en 2016. | Capture d'écran Journal La Montagne <a href="https://www.youtube.com/watch?v=WtUTXd1L9DI">via YouTube</a>
Expérimentation d'un dispositif de sécurité dans l'un des lycées Albert-Londres de Cusset (Auvergne-Rhône-Alpes), en 2016. | Capture d'écran Journal La Montagne via YouTube

Temps de lecture: 5 minutes

Trois ans après la mort de Samuel Paty, professeur d'histoire-géographie tué à la sortie de son collège à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), l'assassinat ce vendredi 13 octobre 2023 de Dominique Bernard, professeur de français de la cité scolaire Gambetta-Carnot d'Arras ouvre à nouveau la question des protections à assurer dans les établissements scolaires.

C'est le cas en particulier pour les professeurs qui peuvent subir des agressions venant de l'extérieur mais doivent aussi faire face à des mises en cause inadmissibles en interne, notamment pour ce qui concerne les enseignements en EPS, SVT ou histoire.

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Peut-on vraiment «sanctuariser» les établissements et les enseignements? Un certain nombre d'annonces qui ont été faites dans le passé apparaissent difficilement applicables ou laissent dans l'ombre certains aspects du problème pourtant bien réels.

Pour sécuriser l'entrée des établissements scolaires, on songe immédiatement aux annonces concernant la mise en place de portiques, évoquée depuis une quinzaine d'années. En mai 2009, en visite au collège de Fenouillet en Haute-Garonne où une enseignante avait été poignardée par un élève de cinquième après son refus de lui retirer une punition, le ministre de l'Éducation Xavier Darcos avait ainsi déclaré envisager l'installation de dispositifs de détection de métaux devant certains établissements.

Un mois plus tôt, à la suite de l'intrusion d'une bande armée dans un lycée professionnel de Gagny en Seine-Saint-Denis se soldant par une dizaine de blessés, Xavier Darcos s'était déjà prononcé pour l'implantation de caméras de surveillance dans les collèges et lycées. Cependant, ces nouveaux dispositifs sont à la charge des départements et des régions, et peu d'entre eux s'engagent alors dans cette voie.

Gabriel Attal vient d'annoncer «le déploiement de 1.000 personnels de sécurité» dans les établissements scolaires.

À la suite des attentats du 13 novembre 2015 à Paris, lors de la campagne des élections régionales, Valérie Pécresse et Laurent Wauquiez, futurs présidents des régions Île-de-France et Auvergne-Rhône-Alpes, avaient demandé l'installation de portiques de sécurité à l'entrée de tous les lycées. Le plus engagé dans cette voie était Laurent Wauquiez, qui avait annoncé que sa région doterait ses 320 lycées de portiques tels qu'on peut en trouver dans les aéroports, afin de contrer le «terrorisme, l'intrusion d'armes à feu et le trafic de drogues».

Le nouveau président du conseil régional d'Auvergne-Rhône-Alpes avait décidé d'expérimenter cette mesure dans quinze établissements pilotes. Mais six mois après l'annonce, la région a dû faire marche arrière et a opté pour de simples tourniquets avec badge. Les conseils d'administration des établissements concernés ne se sont en effet pas prononcés pour les portiques, mais plutôt pour des remises aux normes des clôtures, des réparations des grillages ou des caméras de surveillance.

Des agents plutôt que des portiques

En mars 2017, alors que la fusillade survenue dans un lycée de Grasse relance le débat, sur France Inter, Philippe Tournier, le secrétaire général du SNPDEN, syndicat majoritaire des chefs d'établissement, rappelle les écueils logistiques à ce type de dispositifs:

«Le calcul a été fait par nos collègues, notamment dans la région Auvergne-Rhône-Alpes où le projet a existé. Pour un lycée d'un millier d'élèves, il fallait qu'ils arrivent une heure en avance pour passer les contrôles de sécurité alors qu'on lutte déjà pour que les élèves arrivent à l'heure normale. Ce n'est techniquement pas sérieux.»

Les mises en cause peuvent tout à fait venir de l'intérieur des établissements scolaires.

Mais Philippe Tournier revendique non moins nettement que les établissements scolaires soient dotés d'agents de sécurité: «Cela existe dans les hôpitaux, dans les centres commerciaux, dans les mairies et même au ministère de l'Éducation nationale, mais toujours pas dans les établissements scolaires. Nous ne demandons pas des gardes armés devant les établissements. Ce n'est absolument pas notre demande. Mais on dit que la sécurité est un métier.»

Des équipes mobiles de sécurité sont alors chargées de lutter contre la violence scolaire, mais elles ne représentent que 500 personnes pour 60.000 établissements. En octobre 2023, le ministre de l'Éducation nationale Gabriel Attal vient d'annoncer «le déploiement de 1.000 personnels de sécurité» dans les établissements scolaires.

Signaux d'alerte

Les menaces qui pèsent sur les enseignants ne sont pas seulement extérieures; les mises en cause peuvent tout à fait venir de l'intérieur des établissements scolaires. Et, de ce point de vue, on doit prendre en compte le constat déjà alarmant dressé il y a une vingtaine d'années par l'inspecteur général Jean-Pierre Obin.

En juin 2004, ce rapport de l'inspection générale de l'Éducation nationale, rédigé à l'issue d'inspections menées dans une soixantaine d'établissements scolaires dits «sensibles», est remis au ministre de l'Éducation nationale François Fillon. Son intitulé: «Les signes et manifestations d'appartenances religieuses dans les établissements scolaires».

Les contestations des enseignements pointées par le rapport Obin n'ont pas cessé depuis, tant s'en faut.

La question du port du voile y est présentée dans ce rapport comme «l'arbre qui cache la forêt» des détériorations de la vie scolaire et des contestations de certains enseignements, notamment en éducation physique et sportive, en sciences de la vie et de la Terre et en histoire. À l'évidence, ce qui est le plus alarmant était laissé dans l'ombre alors qu'on se focalise généralement sur des «signes extérieurs» tels que le port du voile.

Le rapport n'est pas rendu public par le ministère. Et pour cause: le ministre de l'Éducation nationale François Fillon ne rompt pas avec la tentation de mettre en avant ce qui est le plus visible. Il revendique ostensiblement avoir été moteur dans l'interdiction du port du voile par les élèves dans les établissements scolaires, tout en se prononçant pour l'extension de cette interdiction à l'université.

Près d'un an plus tard, en mars 2005, peu après sa publication sur le site de la Ligue de l'enseignement, le rapport est discrètement placé sur le site du ministère, sans qu'aucune autre initiative ne soit prise par le ministre François Fillon.

Délit d'entrave

Les contestations des enseignements pointées par le rapport Obin n'ont pas cessé depuis, tant s'en faut. C'est ce qui explique sans doute qu'une proposition de loi «visant à instaurer un délit d'entrave à la liberté d'enseigner dans le cadre des programmes édictés par l'Éducation nationale et à protéger les enseignants et personnels éducatifs» a été déposée fin octobre 2020.

Elle tient en un article unique: inséré après le deuxième alinéa de l'article 131-1 du code pénal, un nouvel alinéa affirme que «le fait de tenter d'entraver ou d'entraver par des pressions, menaces, insultes ou intimidations, l'exercice de la liberté d'enseigner selon les objectifs pédagogiques de l'Éducation nationale, déterminés par le conseil supérieur des programmes, est puni d'un an d'emprisonnement et de 15.000 euros d'amende».

Cette proposition a été faite par le sénateur de l'Oise, Olivier Paccaud, professeur agrégé d'histoire-géographie, en compagnie d'une cinquantaine de sénateurs appartenant pour la plupart au groupe Les Républicains. Elle n'a pas abouti.

De 1910 à 1913, de nombreux projets de «défense laïque» s'étaient succédé mais n'étaient pas allés jusqu'au bout.

Elle avait pourtant eu un précédent il y a déjà plus d'un siècle. Fin janvier 1914, la Chambre des députés avait en effet voté une série de dispositions afin d'«assurer la défense de l'école laïque». Il était acté que quiconque exerçant sur les parents une pression matérielle ou morale, les aurait déterminés à retirer leur enfant de l'école ou à empêcher celui-ci de participer aux exercices réglementaires de l'école, sera puni d'un emprisonnement de six jours à un mois et d'une amende de seize francs à deux cents francs or.

Enfin, quiconque aurait entravé ou tenté d'entraver le fonctionnement régulier d'une école publique sera frappé des mêmes peines, lesquelles seront sensiblement aggravées s'il y a eu violence, injures ou menaces.

Il avait fallu cinq ans pour que la loi de 1914 soit votée. De 1910 à 1913, de nombreux projets de «défense laïque» s'étaient succédé mais n'étaient pas allés jusqu'au bout. La IIIe République avait elle aussi connu des tergiversations avant le passage à l'acte…

Il ne saurait pourtant être question d'occulter que certaines mises en cause effectives de certains enseignements ne sauraient être tolérées, même si cela arrive moins souvent que certains le pensent. Mais cela existe, et ce qui est intolérable ne doit pas être toléré.

Cela appelle la possibilité de mesures coercitives effectives, afin notamment que ceux qui font front se sentent effectivement soutenus lorsque la limite est dépassée. Cela appelle une «défense laïque» renouvelée des enseignements et des enseignants.

Claude Lelièvre est enseignant-chercheur en histoire de l'éducation, professeur honoraire à Paris-Descartes (Université Paris Cité).

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l'article original.

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