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Hamas-Hezbollah, une alliance qui risque d'embraser le Liban

Alors qu'Israël bombarde Gaza au sud, tous les yeux sont rivés sur les réactions du Hezbollah, qui menace d'entrer en guerre aux côtés du Hamas. 

Des Palestiniens et Libanais manifestent et étendent un drapeau palestinien devant l'ambassade d'Égypte à Beyrouth, pour protester contre la coopération entre Israël et l'Égypte et demander la réouverture du point de passage d'El-Rafah, à Gaza. | Philippe Pernot
Des Palestiniens et Libanais manifestent et étendent un drapeau palestinien devant l'ambassade d'Égypte à Beyrouth, pour protester contre la coopération entre Israël et l'Égypte et demander la réouverture du point de passage d'El-Rafah, à Gaza. | Philippe Pernot

Temps de lecture: 6 minutes

La nouvelle guerre entre Israël et le Hamas a remis le Liban en première ligne. Face aux tentatives d'infiltrations et aux tirs de roquettes du Hezbollah et de ses alliés, Israël a bombardé des villages au Liban-Sud, faisant plusieurs victimes, dont un journaliste de Reuters. Une escalade dangereuse «qu'il faut arrêter à tout prix», a averti l'Unifil, la force intérimaire des Casques bleus de l'ONU chargés de veiller au calme à la frontière.

Qualifié de «front nord» par Israël (en contraste à Gaza, son «front sud»), le Liban entier retient son souffle dans la peur d'une nouvelle guerre totale. «Ma grand-mère a fui le sud, elle entendait les bombardements et est venue se réfugier à Beyrouth», témoigne Marwa, la vingtaine, étudiante en comptabilité dans la capitale libanaise, et dont la famille vit à quelques kilomètres de la frontière avec Israël. La vie quotidienne continue tant bien que mal, mais les rumeurs de bombardements massifs ou même d'une invasion à venir circulent sur les réseaux sociaux.

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Tous les yeux sont rivés sur le Hezbollah, le puissant parti-milice chiite ultraconservateur qui domine la scène politique libanaise. Financé par l'Iran dont il partage l'idéologie, c'est le pire ennemi d'Israël, qu'il s'est voué à détruire depuis sa création dans les années 1980. C'est aussi l'un des plus importants alliés du Hamas.

Alors que la guerre a déjà fait plus de 2.200 morts, principalement des civils, Israël a promis de détruire le parti-milice islamiste palestinien en rasant Gaza. L'ordre d'évacuation des civils et l'arrivée d'importantes forces armées autour de l'enclave laissent craindre une offensive terrestre d'envergure.

Alliance militaire entre le Hamas et le Hezbollah

«C'est maintenant que tout se joue. Le Hezbollah ne veut pas voir son principal allié disparaître, et pourrait donc entrer en guerre selon le degré de violence appliqué par l'armée israélienne à Gaza», explique Joseph Daher, chercheur et auteur du livre Hezbollah: The Political Economy of Lebanon's Party of God.

Le Hezbollah dispose de 20.000 à 30.000 miliciens armés et peut mobiliser autant de réservistes, en plus de disposer d'un arsenal de guerre que certains estiment plus puissant que celui de nombreux pays alentours. «Nous sommes préparés et nous passerons à l'action au moment propice», a averti Naïm Qassem, le numéro 2 du parti, lors d'un grand rassemblement patriotique du Hezbollah dans la banlieue sud de Beyrouth, vendredi 13 octobre.

Beyrouth serait donc redevenu le QG de la cause palestinienne.

C'est qu'une alliance forte lie le Hamas au Hezbollah, son grand frère. Tous deux ont été créés ou soutenus par l'Iran au milieu des années 1980 afin d'ouvrir un front islamiste contre Israël. Tous deux occupent des postes politiques: le Hamas gouverne Gaza depuis 2007 et le Hezbollah contrôle la plupart des postes-clés au Liban, où il compte plusieurs ministres et parlementaires, depuis 2007 également. Tous deux ont surpassé les forces traditionnelles locales, comme le Fatah de Yasser Arafat, en se présentant comme une meilleure alternative à leur corruption.

Des milliers de partisans du Hezbollah se sont rassemblés pour écouter un discours de Naïm Qassem, numéro 2 du parti chiite ultra-conservateur libanais, dans la banlieue sud de Beyrouth, le vendredi 13 octobre 2023. | Philippe Pernot

Leur coopération est aussi militaire. «Le Hezbollah fournit des armes au Hamas en contrebande via l'Égypte, entraîne ses brigades el-Qassam en Iran, lui donne un soutien logistique et médiatique… Des cadres du Hamas vivent même de façon permanente dans la banlieue sud de Beyrouth», explique Joseph Daher. Le tout sous la supervision de la République islamique d'Iran et son corps d'élite, les Gardiens de la révolution.

Beyrouth, centre de la planification

C'est ainsi que le Hamas aurait planifié l'opération «Déluge d'al-Aqsa» en coopération avec le Hezbollah et l'Iran, depuis deux ans, à Beyrouth. C'est du moins ce qu'affirment des cadres de ces trois entités, cités anonymement par le Wall Street Journal et L'Orient-Le Jour.

En avril dernier, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, avait reçu Saleh al-Arouri (numéro 2 du Hamas) et Ziyad al-Nakhalah (chef du Jihad islamique) dans la banlieue sud. Depuis l'été, ils se seraient réunis toutes les deux semaines, parfois en présence d'officiers des Gardiens de la révolution iraniens. Et le feu vert final pour l'attaque aurait été donné par l'Iran quelques jours avant, affirment les deux journaux.

Des centaines de Palestiniens et de Libanais ont manifesté leur soutien à la Palestine à l'appel d'organisations de gauche et de réfugiés palestiniens du camp de Mar Elias, à Beyrouth, le vendredi 13 octobre. | Philippe Pernot

Beyrouth serait donc redevenu le QG de la cause palestinienne, plus de quarante ans après l'évacuation de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) sous les bombes israéliennes, en 1982. Le Hamas et le Jihad islamique opèrent de manière organique dans les huit camps de réfugiés palestiniens au Liban, qui abritent 250.000 Palestiniens. De quoi faire peur à de nombreux Beyrouthins, qui se souviennent des frappes aériennes d'Israël contre l'aéroport de Beyrouth et la banlieue sud, entièrement détruite en juillet 2006.

Le souvenir traumatique de cette guerre est sur toutes les lèvres: le Hezbollah et Israël s'étaient affrontés pendant un mois, ce qui s'était soldé par 1.200 morts du côté libanais, principalement des civils, et 160 morts du côté israélien, principalement des soldats. À l'époque, la popularité du Parti de Dieu s'était envolée: il avait réussi à tenir tête à son ennemi juré et avait reconstruit le Sud-Liban à son image.

«Aujourd'hui, le Hezbollah utilise la rhétorique de la résistance à Israël uniquement pour justifier sa milice armée.»
Hilal Khashan, professeur à l'université américaine de Beyrouth

Depuis, la situation a bien changé. Le Liban est plongé depuis 2019 dans une crise politique, financière, économique et sociale sans précédent depuis 1850, selon la Banque mondiale. 80% de la population vit sous le seuil de pauvreté, et la confiance envers les partis politiques libanais, critiqués pour leur corruption, s'est érodée.

Le Hezbollah n'échappe pas à cette dynamique et a fait face à une opposition au sein même de la communauté chiite, qui lui est normalement acquise. «Il ne dispose plus du soutien populaire nécessaire pour mener une guerre totale», affirme Joseph Daher.

La route vers la frontière entre le Liban et Israël, indiquée sur un panneau à côté de la base de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul), à Naqoura, dans le Liban-Sud (photo prise en mars 2019). | Philippe Pernot

Le Hezbollah veut-il entrer en guerre?

Bien que des affrontements réguliers aient lieu à la frontière entre le Liban et Israël, qui est patrouillée par les Casques bleus de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul), il s'agit plus d'un jeu politique du chat et de la souris, de tester les réactions adverses et envoyer quelques roquettes pour célébrer un événement particulier.

«Le Hezbollah a tiré les leçons de 2006, lorsque Hassan Nasrallah a déclaré qu'il regrettait sa décision en raison des destructions qu'elle avait entraînées», explique Hilal Khashan, professeur à l'université américaine de Beyrouth. «Aujourd'hui, le Hezbollah utilise la rhétorique de la résistance à Israël uniquement pour justifier sa milice armée –mais il ne combattra probablement plus jamais dans une guerre frontale contre Tsahal», estime-t-il.

Mais personne ne sait s'il pourra refuser l'ordre d'aller en guerre, si l'Iran le lui demande par exemple. «Il y a une certaine autonomie du Hezbollah et du Hamas vis-à-vis de la République islamique, il ne faut pas croire qu'ils ne sont que des pions inarticulés», tempère Joseph Daher. «L'opération du Hamas était 100% palestinienne, même s'il a très certainement informé ses alliés et bénéficié de leur aide logistique», explique-t-il.

Des missiles utilisés par le Hezbollah pendant la «guerre de libération» contre Israël dans les années 1980-1990 sont exposés sur le site en ruine de Khiam, l'ancienne prison israélienne dans le Liban-Sud. Israël a occupé le Liban-Sud de 1976 jusqu'en 2000 et a détruit la prison, qui allait devenir un musée, lors de la guerre de 2006, pour effacer les preuves de la torture qui y a été pratiquée à l'encontre des prisonniers politiques libanais et palestiniens (photo prise en mars 2019). | Philippe Pernot

Si le Hamas et le Hezbollah sont proches, ils se sont affrontés lors de la guerre civile syrienne à al-Qusayr, en 2013: le Hamas sunnite, proche des Frères musulmans, soutenait les rebelles, alors que le Hezbollah chiite combattait aux côtés du régime de Bachar el-Assad. Mais cette adversité fait partie du passé et n'avait pas entravé les liens forts entre les deux groupes.

L'incertitude règne, donc. «Ni le Hezbollah ni l'Iran ne veulent risquer de perdre tout ce qu'ils ont bâti au Liban, et ils vont probablement rester sur une ligne de crête entre les actes de solidarité au Hamas et la déclaration de guerre totale à Israël», espère Hilal Khashan. Mais, alors que les bombes pleuvent sur le Liban-Sud, toutes les certitudes semblent être balayées par les ondes de choc et la fumée noire qui s'élève.

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