«T'es dansant!»: plongée au cœur des bals du dimanche après-midi
Société / Culture

«T'es dansant!»: plongée au cœur des bals du dimanche après-midi

Fanny Arlandis -

«Je possède une formation en sociologie de la santé et j'ai beaucoup travaillé sur le vécu de la maladie d'Alzheimer. Les personnes âgées, c'est mon dada», affirme la photographe Corinne Rozotte. «J'ai donc réfléchi à un projet qui me permettrait de sortir cette catégorie des cases vieillesse, dépendance ou tristesse. Comme je fais de la photographie et non de la vidéo, il me fallait un sujet photogénique et expressif par rapport à ce “bien vieillir”. Les thés dansants m'offraient tout cela!»

Après avoir passé un an à parcourir la France rurale, son travail, intitulé «T'es dansant!», est exposé à la galerie Fait et cause, dans le IVe arrondissement de Paris, jusqu'au samedi 4 novembre. Corinne Rozotte nous raconte l'envers du décor de cette fièvre du dimanche après-midi.

«J'ai découvert les thés dansants lors d'un reportage sur tout autre chose. Je travaillais sur l'affaire des “enfants de la Creuse” [plus de 2.000 jeunes Réunionnais retirés de leurs parents et exilés de force vers la métropole, et notamment la Creuse, entre 1962 et 1984, ndlr]. Une personne m'a emmenée, un dimanche après-midi, au fin fond de la campagne. L'ambiance de ce jour de novembre était grise, terne et, tout à coup, j'ai vu une boîte de nuit dans laquelle se tenait un thé dansant. Il y avait un monde fou à l'intérieur, des spots, de la lumière éclatante. C'était assez étonnant. Beaucoup de thés dansants se tiennent dans des boîtes de nuit, le dimanche après-midi. L'ambiance y est généralement intimiste et il est donc difficile d'y faire des photos.»

«J'ai laissé de côté ce sujet pendant la crise liée à la pandémie de Covid-19 et j'ai commencé à vraiment travailler dessus en mai 2022. Au départ, on m'a fait très vite comprendre qu'il allait être difficile de travailler dessus, car beaucoup de couples qui s'y rendent sont illégitimes. Je me suis rendue dans le Massif central, les Cévennes et la Corrèze. Je voulais que mon travail se situe en milieu rural.»

«Ces bals sont généralement fréquentés par des classes moyennes et assez populaires. Ce sont des gens qui ont tout le temps dansé. Ils sont pour la plupart nés dans l'entre-deux-guerres, dans les années 1930 et 1940, à une époque où tout le monde allait aux bals du dimanche. Les thés dansants, eux, sont apparus dans les années 1990. Ces événements sont très importants pour préserver le lien social et la santé mentale de ces personnes. Beaucoup ne se sont fait vacciner contre le Covid que pour avoir encore le droit de s'y rendre! Cette photo a été prise lors du Bal du mardi d'Uzerche, qui a lieu tous les quinze jours. C'était la canicule et comme les salles des fêtes ne sont pas souvent climatisées, la chaleur est un frein à la venue de nombreux danseurs. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, les thés dansants sont plus fréquentés l'hiver que l'été.»

«On y danse la valse, le tango, la bachata, le paso doble, la bourrée. Il y a toujours un orchestre, un accordéoniste, un chanteur (qui peut aussi jouer d'un instrument) et une bande-son. Dans ces événements, les gens adorent les danses en ligne. Certains ont appris sur place, d'autres sur YouTube. La chanson la plus populaire, c'est “La Goffa Lolita” [le tube du chanteur corse Vincent Colonna, alias La Petite Culotte, ndlr]. Tous deviennent dingues quand elle passe!»

«La plupart des thés dansants sont organisés tous les quinze jours. Des flyers annoncent leur tenue. Parfois, les organisateurs envoient des SMS aux habitués. Mais la plupart du temps, la communication se fait au bouche-à-oreille. C'est toute une économie, tout un monde! Sur cette photo, on voit Françoise, qui danse toujours alors qu'elle a subi de nombreuses opérations, à l'épaule, au genou, un peu partout! Elle aime beaucoup se montrer et porte toujours des bas résille.»

«Le prix d'entrée est en général de 10 à 12 euros. Parfois, l'entrée inclut un goûter et une bouteille d'eau et il est possible d'acheter des consommations alcoolisées. Un thé dansant dure en général cinq heures, de 14h30 à 19h30. Sur cette photo, Alice, une danseuse extrêmement coquette, essaie une robe de bal. Elle en possède une cinquantaine ou une centaine et elle a dansé toute sa vie. En voyant le papier peint de cette chambre, je n'ai pas pu m'empêcher de faire une photo. Quand j'ai commencé, ce travail n'avait rien d'évident. On me demandait ce que j'allais faire des photos. Ce sont des gens qui sont très éloignés de la notion du reportage, de ce que cela peut impliquer. Mais je suis maintenant connue dans ces régions, où je travaille régulièrement. Et j'espère pouvoir en faire un livre prochainement.»

Fanny Arlandis

Fanny Arlandis

Journaliste, elle écrit principalement sur la photographie et le Moyen-Orient pour Le Monde, Télérama et Slate.

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