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Broadcast, Spell Blanket (Warp)

La sortie de ce disque est l’événement le plus important, émouvant, depuis que l’homme a marché sur la Terre ? sur la Lune ? En tous cas, c’est bien plus qu’une collection de démos, c’est un monument, un cénotaphe élevé à la mémoire de Trish Keenan, chanteuse du groupe Broadcast, disparue en 2011 à l’âge de 42 ans, emportée par une pneumonie après avoir contracté la grippe H1N1 au retour d’une tournée en Australie. C’est à James Cargill, son complice, son frère chimique, que l’on doit cet ultime album. Totalement dévoué à chérir la mémoire de son âme sœur, Cargill a collecté dans les mini-discs, cassettes 4-pistes et autres bandes magnétiques laissés par sa compagne cette trentaine d’enregistrements, couvrant 4 ans de recherches sonores, s’aventurant dans toutes les directions. Il les a gardés intact, à l’état brut, en conservant précieusement les souffles, parasites, accidents, fragilités, les mixes sur bande parfois un peu sourds, nimbant ces enregistrements d’un halo surnaturel.

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Mort Garson, Mother Earth’s Plantasia (Homewood Records, 1976)

Parfois les algorithmes font bien les choses. Dans les années 2000, Mother Earth’s Plantasia (1976) du musicien canadien Mort Garson s’infiltre dans les flux YouTube de nombreux utilisateurs du site. L’album hérite enfin du statut de disque culte après des décennies d’anonymat. Il n’est pas le seul à bénéficier de ce coup de pouce inattendu. L’artiste japonaise Midori Takada a par exemple connu un destin quelque peu similaire avec un album paru initialement en 1983, de même que le Français Dominique Guiot et son Univers de la Mer (1978). Ces succès semblent presque enchantés, un peu à l’image de la théorie qui poussa Mort Garson à enregistrer Plantasia quelques décennies plus tôt. Continuer la lecture de « Mort Garson, Mother Earth’s Plantasia (Homewood Records, 1976) »

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Matt Low, Une vie cool (Bleu Nuit)

Ah ben oui. Lui, tiens.

« L’homme aux cents blessures. » Qui peut s’entendre : « L’amour, sans blessure. »

C’est ça.

Disclaimer : c’est là où nous sommes, où nous en sommes, les premiers mots de la première chanson du dernier disque de Matt – je l’appelle par son prénom, lui, parce que je ne le connais pas de cet amour issu d’abord de sillons et de concerts, mais de vive vodka depuis flûte, plus de vingt ans et nos premières guitares, nos premières basses. C’est un frère, c’est la famille – même s’il est passé au mezcal entretemps, parfois, dit-il. Ça se comprend, ici le bourbon noie les dernières nuits de nos âges – sucrer ou fumer au lieu de brûler – la jeunesse passe et on cultive le jardin chaque lendemain du monde, chacun à nos façons et en nos compagnies, lui avec Jean-Louis Murat – qui l’a fait chanteur – et Elysian Fields – dont il est désormais le crucial bassiste. Un crucial artiste. Continuer la lecture de « Matt Low, Une vie cool (Bleu Nuit) »

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Dieu Sauvage

Il y a 20 ans, Nick Cave nous parlait de son nouveau double LP, récemment enregistré à Paris.

Nick Cave / Photo : DR
Nick Cave / Photo : DR

Alors qu’avec ses Bad Seeds, Nick Cave – que la vie n’a pas épargné ces dernières années –, s’apprête à sortir un nouvel album intitulé Wild God et annonce un concert à… l’Accor Arena le 17 novembre, retour sur la rencontre avec l’icône australienne qui accompagna la sortie du double album Abattoir Blues / The Lyre Of Orpheus. C’était il y a tout juste vingt ans. Et il s’est passé à peu près ça.

Détendu, souriant, drôle : ce n’est certes pas l’image traditionnelle que l’on se fait de Nick Cave, en particulier lors d’une journée promotionnelle. Pourtant, tel est l’Australien nouveau, visiblement très fier de ses deux nouveaux disques, Abattoir Blues et The Lyre Of Orpheus. Et il a de quoi. Ténébreux, vénéneux, dense et lumineux, en équilibre parfait entre apaisement et foisonnement, ce vrai-faux double album est sans doute l’œuvre la plus aboutie que l’homme ait jamais enregistré avec ses Bad Seeds. Il en explique ici le pourquoi du comment. Continuer la lecture de « Dieu Sauvage »

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Jessica Pratt : « Je vis rarement dans le moment présent. »

Jessica Pratt / Photo : Samuel Hess
Jessica Pratt / Photo : Samuel Hess

Certaines personnes semblent atterries d’un autre espace-temps. Jessica Pratt, avec sa silhouette sombre et son visage baigné de lumière, comme échappée d’un tableau en clair-obscur, est de celles-ci. Ce n’est pas que dans son apparence, mais aussi dans la sérénité qu’elle dégage, dans la lenteur de ses mouvements. Alors quand elle évoque son coup de cœur pour Anatomie d’une chute, on est un peu décontenancés : on vit bien sur la même planète, on va au cinéma voir les mêmes films et on n’en peut plus de cette pluie qui ne s’arrête pas. C’est quand elle nous parle de sa tendance à la discrétion, à percevoir des fantômes et à vivre soit dans le passé, soit dans le futur, que l’on replonge dans l’image que l’on se fait d’elle depuis douze ans maintenant : une artiste mystérieuse si ce n’est mystique, abreuvée de folk et de rock sixties, révélée au sein de la scène freak-folk de San Francisco grâce notamment à Tim Presley et son label Birth Records, le premier à l’avoir accueillie. Jessica Pratt dévoilait hier un sublime quatrième album, Here in the Pitch, sur lequel rôdent les spectres de Burt Bacharach et Scott Walker ; rien de baroque toutefois, juste l’essentiel : des mélodies et de la mélancolie.

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Selectorama : Corridor

Corridor
Corridor / Photo : DR

Le temps passe si vite, semble nous dire Jonathan Robert et les musiciens du groupe montréalais Corridor Dominic Berthiaume, Julian Perreault, Julien Bakvis, et leur complice de concerts Samuel Gougoux. Mourir Demain, premier single de ce quatrième album n’est pourtant pas une complainte pessimiste mais un morceau lumineux, une ode à un passage serein. Le temps passe, certes, « on vieillit, on fonde une famille, on ralentit les choses… » nous disent-ils. Mimi est un disque au spectre musical plus ouvert, qui s’émancipe de leurs débuts post punk pour explorer des terres plus mélodiques, comme si on ouvrait les fenêtres sur la nature après un temps enfermé chez soi. Avec une poésie psyché plus contemplative et assagie, Corridor s’inscrit une fois encore parmi ceux que l’on aime voir grandir. Pour célébrer la sortie de cet album à tête de chat, second du groupe signé sur l’étasunien Sub Pop (après un LP paru par chez nous), voici dix morceaux choisis avec cœur par Dominic Berthiaume. Continuer la lecture de « Selectorama : Corridor »

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Les portraits sepia de John Canning Yates

John Canning Yates
John Canning Yates / Photo : DR

En 2004, John Canning Yates embarquait ses Ella Guru dans ses obsessions musicales avec The First Album. Publié chez Banana Recordings (où l’on a aussi pu écouter Art Brut), l’album empruntait des chemins balisés par la lumière qui émanent des disques de Low et de Lambchop. Il y a vingt ans, Liverpool écoutait Magic and Medicine des Coral, Manchester attendait un nouveau miracle dans la boutique Oasis et Sheffield ne s’était pas remise de la tornade Pulp. Ella Guru a publié un disque et est reparti discrètement. Depuis ? Silence radio. Violette Records (responsables de disques notables signés Michael Head, Studio Electrophonique ou The Reed Conservation Society), qui fait fi de la mode des radios FM, a écouté son instinct et permet aujourd’hui à John Canning Yates de faire son retour. Et quel retour. Continuer la lecture de « Les portraits sepia de John Canning Yates »

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Nico, The Marble Index (Elektra, 1968)

Nico, The Marble IndexC’est un calvaire, un Golgotha, un disque qu’il vaut mieux avoir sur la table qu’à l’esprit. Ce qu’un John Cale coupable en sourdine mais à peine, avait pris comme justificatif d’une déroute marchande annoncée.

« The Marble Index is an artefact, not a commodity.
You Can’t Sell Suicide. »

Cette image quand même, grand résumé parfait et moqueur de cette adolescence, la nôtre en adoration devant la figure d’un suicidé et la lente, patiente, archéologie de fait qui telle une enquête fantastique de Lovecraft nous ferait tracer les lignes de la connaissance rétrospective entre les Doors, l’incalculable Velvet Underground, et les inestimables Kraftwerk,  puis Can, trois groupes qui ont eu beaucoup de mal à descendre de l’ignoble piédestal où nous les avons placés pour l’éternité au nom de notre idolâtrie puérile mais toujours vivace pour Joy Division.

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