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Numéro
Med Sci (Paris)
Volume 33, Numéro 6-7, Juin-Juillet 2017
Page(s) 567 - 569
Section Nouvelles
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/20173306003
Publié en ligne 19 juillet 2017

Le virus d’Epstein-Barr (VEB) est un membre de la famille des virus herpès qui infecte la majorité de la population [1]. Le premier contact avec le virus s’effectue en général dans les premiers mois après la naissance et est soit asymptomatique, soit accompagné d’une pharyngite. On estime que plus de 90 % de la population adulte est infectée [1]. Le virus persiste dans l’organisme infecté jusqu’à la mort de son hôte. Il s’y multiplie régulièrement pour induire la production de nouvelles particules virales principalement retrouvées dans la salive. Celle-ci véhicule les virus lors d’un contact rapproché interindividuel [1]. Dans les populations où les contacts sociaux sont plus tardifs, l’infection par le virus d’Epstein-Barr est souvent retardée jusqu’à l’adolescence, provoquant, dans un tiers des cas, une mononucléose infectieuse, un syndrome accompagné d’une pharyngite, de fièvre et d’une lymphadénopathie1 [1]. Ces signes cliniques sont en général transitoires, même s’ils peuvent être suivis d’une fatigue persistante. Cette maladie, en apparence anodine ne doit cependant pas faire oublier que le virus d’Epstein-Barr est un virus oncogène [2]. Ce virus a en effet été découvert dans un cancer du système lymphatique, le lymphome de Burkitt, du nom du chirurgien qui l’a décrit. Le développement des techniques de greffes d’organes ou de moelle osseuse et le traitement immunosuppresseur qu’elles nécessitent, ont souligné le pouvoir oncogène de ce virus par ailleurs commun. En l’absence d’un système immunitaire fonctionnel, le virus induit une prolifération illimitée des lymphocytes B, sa cible favorite, qui se traduit cliniquement par le développement de lymphomes dits « du transplanté » [1, 2]. De nombreuses études épidémiologiques indiquent que la mononucléose infectieuse a parfois des conséquences graves comme l’apparition d’un lymphome de Hodgkin2 [1, 2]. Le spectre des cancers induits par le virus d’Epstein-Barr est plus étendu : il est bien établi que le virus est associé au cancer du nasopharynx, particulièrement fréquent en Asie du sud-est et dans une moindre mesure en Afrique du nord [2, 3] (). Le virus d’Epstein-Barr contribue aussi au développement d’un type particulier de cancer de l’estomac [2].

(→) Voir la Synthèse de P. Busson et al., m/s n° 4, avril 2004, page 453

Si la responsabilité du virus dans le développement de ces cancers est maintenant bien établie, les mécanismes moléculaires qui y conduisent sont beaucoup moins clairs. Plusieurs raisons expliquent ces lacunes dans nos connaissances, en particulier la complexité de ce virus qui possède un grand génome de 170 kb codant plusieurs dizaines de protéines et d’ARN non-codants, mais aussi la difficulté pour reproduire la plupart des cancers induits par le virus dans des modèles animaux [1, 4]. La pathogenèse des lymphomes observés chez les individus transplantés est comprise dans les grandes lignes, car ils sont largement dus au pouvoir de transformation observé au laboratoire. L’exposition de lymphocytes B au virus entraîne en effet une multiplication cellulaire quasi illimitée qui a permis en particulier l’établissement de lignées dites lymphoblastoïdes (Figure 1) [1]. Cette propriété unique du virus d’Epstein-Barr est due à l’expression simultanée des membres de deux familles de protéines, les EBNA (Epstein-Barr virus nuclear antigens) qui codent des protéines à localisation nucléaire et les LMP (latent membrane proteins) qui sont localisées à la membrane cellulaire [1]. Ces protéines, dites de latence parce que non nécessaires à la multiplication du virus, induisent une division cellulaire continue par activation de plusieurs voies de signalisation cellulaires comme Notch et NF-kB (nuclear factor-kappa B) [1]. Elles sont également exprimées dans les lymphomes de transplantés, ces lymphomes étant l’équivalent in vivo des lignées lymphoblastoïdes. Dans ce cas, les cellules infectées par le virus peuvent se multiplier en l’absence d’un système immunitaire normalement capable de les réprimer efficacement [2]. Ce mécanisme explique de façon satisfaisante le développement des lymphomes chez les transplantés, mais il ne peut pas être transposé à la majorité des cancers induits par le virus. En effet, certaines tumeurs n’expriment qu’une partie du répertoire des protéines de latence et il est impossible de reproduire in vitro ou même chez l’animal des tumeurs comme le carcinome du nasopharynx ou de l’estomac [1]. Plusieurs études épidémiologiques ont cependant montré que le risque de cancer du nasopharynx est beaucoup plus important chez les personnes porteuses d’un taux très élevé d’anticorps reconnaissant l’antigène de capside (VCA, pour viral capsid antigen) [5]. La protéine VCA est produite par le génome viral lors de la multiplication des particules virales qui sont vecteurs de l’infection d’un individu à l’autre. Ce marqueur a une valeur prédictive très élevée, permettant d’anticiper le développement de la tumeur plusieurs années à l’avance. Un lien causal entre la forte multiplication du virus et le développement du cancer semble donc exister [5]. Nous avons montré il y a quelques années que les forts taux d’anticorps anti-VCA et, plus généralement, les cancers du nasopharynx étaient induits par une souche de virus particulière capable de se multiplier vigoureusement [6]. Ces virus possèdent un tropisme inhabituellement prononcé pour les cellules épithéliales, condition nécessaire pour le développement d’une tumeur dérivée de telles cellules. Cela nous amena à proposer qu’il existe des souches de virus d’Epstein-Barr dotées d’un pouvoir pathogène particulièrement élevé, rappelant ainsi le cas du virus du papillome dont seuls certains sérotypes peuvent induire un cancer. La manipulation d’une souche virale isolée d’un de ces cancers du nasopharynx, M81, a permis d’évaluer le rôle des particules virales dans le processus cancéreux. La comparaison du pouvoir oncogène de la souche M81 et d’un mutant de M81 déficient pour la multiplication virale montre en effet que l’incidence d’apparition de tumeurs chez l’animal est plus élevée après infection avec un virus à fort pouvoir multiplicatif [7]. L’observation des cellules infectées avec le virus sauvage M81 révèle qu’elles comportent un nombre anormalement élevé de centrioles. Nos travaux ultérieurs ont montré que ce défaut pouvait être induit par les particules virales elles-mêmes sous l’influence de l’un des composants de leur tégument, la protéine BNRF1, qui se concentre autour du centriole de la cellule cible (Figure 2) [7, 8]. Le centriole est un élément essentiel du centrosome, centre organisateur du fuseau mitotique. Une cellule avec un nombre anormal de centrioles ne peut assurer une distribution régulière des chromosomes lors de la mitose. Il s’ensuit l’apparition d’une aneuploïdie3, ou des anomalies structurales des chromosomes telles que des délétions partielles ou des translocations. Depuis de nombreuses années, l’amplification des centrioles est suspectée de jouer un rôle dans le processus de cancérisation. Des travaux récents ont démontré que cet événement est en fait suffisant pour induire un cancer, suggérant que le contact avec des particules virales de virus d’Epstein-Barr confère un risque de transformation cancéreuse [9]. Ces données montrent donc un nouveau mécanisme de cancérogenèse induit par les virus d’Epstein-Barr indépendamment des protéines de latence virale.

thumbnail Figure 1.

Lignées lymphoblastoïdes transformées par le virus. Ce visuel montre l’effet de l’infection des lymphocytes B du sang périphérique par le virus d’Epstein-Barr. Le virus induit une prolifération cellulaire qui conduit à la formation de large amas contenant des milliers de cellules (vue microscopique x 200).

thumbnail Figure 2.

Amplification des centrioles induite par l’infection virale. Photographie de cellules de la lignée RPE-1 (épithélium pigmentaire de la rétine) infectées par le virus d’Epstein-Barr. Les centrioles sont visualisés par une coloration avec un anticorps spécifique de la centrine, une protéine du centriole. Ceux-ci apparaissent en rouge. Des cellules normales ont deux centrioles, la cellule sur la photographie en possède plus de quatre. Le noyau est contre-coloré avec du DAPI et apparaît en bleu (vue microscopique x 630).

Un point important de notre étude est que ce phénomène ne nécessite pas une infection chronique par le virus [7]. En effet, l’amplification des centrioles est observée dans les cellules de rétine RPE(retinal pigment epithelium)-1 au sein desquelles le virus ne peut persister. Cela suppose que le virus est capable d’interférer avec l’organisation des centrosomes sans pour autant persister dans la cellule. Ces données permettent d’envisager un nouveau modèle d’infection dans lequel le virus est susceptible de pénétrer dans un spectre de cellules beaucoup plus large que celui connu actuellement, mais sans introduire de façon stable son ADN dans le noyau. L’ADN viral persiste en effet sous forme d’un épisome extra-chromosomique qui est facilement perdu par les cellules infectées [1]. Cette élimination de l’ADN viral pourrait en fait se produire immédiatement après infection dans certaines cellules. Une telle infection transitoire ou abortive par le virus d’Epstein-Barr permettrait cependant une multiplication anormale des centrioles, résultat d’un bref contact entre la protéine virale BNRF1 et le centriole. La conséquence la plus importante de ce modèle encore hypothétique serait que le virus d’Epstein-Barr pourrait être responsable du développement de tumeurs sans que son génome puisse y être détecté. Comme l’implication d’un virus dans l’apparition d’une tumeur requiert en général la détection de son ADN viral, il est possible que la fréquence des cancers induits par ce virus soit en fait sous-estimée. La quantification du risque d’amplification des centrioles conférée par les virus est cependant une inconnue, très certainement variable d’un individu à l’autre, en fonction du type de virus présent dans l’organisme et des sensibilités individuelles. Ces travaux renforcent donc l’idée que le virus d’Epstein-Barr est un virus oncogène pour lequel le développement d’une stratégie de prévention par vaccination est souhaitable. La protection contre les virus herpès est cependant très difficile à obtenir et n’a connu que de rares succès comme celui avec le vaccin contre le virus de la varicelle. Il existe cependant quelques prototypes de vaccins contre le virus d’Epstein-Barr, fondés sur des protéines virales telles que la gp3504 [10]. Ce vaccin réduit l’incidence de mononucléose infectieuse chez les individus vaccinés mais ne protège pas contre une infection par le virus. Une autre approche repose sur l’utilisation de pseudo-particules virales qui sont constituées de composants de structure du virus d’Epstein-Barr, tels que son enveloppe et sa capside, mais sont dénuées de son ADN, ce qui empêche le développement d’une infection [11]. Les pseudo-particules ont été utilisées avec succès pour la vaccination contre le virus de l’hépatite B ou contre le virus papillome [11]. Dans le cas du virus d’Epstein-Barr, elles ne seront cependant exploitables que si elles sont dépourvues de la protéine BNRF1.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


1

Une lymphadénopathie est une hypertrophie des ganglions lymphatiques.

2

Ce type de lymphome regroupe les cancers qui apparaissent dans les ganglions lymphatiques et se propagent ensuite aux régions voisines.

3

L’aneuploïdie caractérise une cellule qui a un nombre anormal de chromosomes, perte ou gain.

4

La gp350 est une glycoprotéine d’enveloppe qui permet la fixation du virus aux lymphocytes B.

Références

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Liste des figures

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Lignées lymphoblastoïdes transformées par le virus. Ce visuel montre l’effet de l’infection des lymphocytes B du sang périphérique par le virus d’Epstein-Barr. Le virus induit une prolifération cellulaire qui conduit à la formation de large amas contenant des milliers de cellules (vue microscopique x 200).

Dans le texte
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Amplification des centrioles induite par l’infection virale. Photographie de cellules de la lignée RPE-1 (épithélium pigmentaire de la rétine) infectées par le virus d’Epstein-Barr. Les centrioles sont visualisés par une coloration avec un anticorps spécifique de la centrine, une protéine du centriole. Ceux-ci apparaissent en rouge. Des cellules normales ont deux centrioles, la cellule sur la photographie en possède plus de quatre. Le noyau est contre-coloré avec du DAPI et apparaît en bleu (vue microscopique x 630).

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