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Placements solidaires : comment donner du sens à son épargne

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Agir sur la destination de son épargne est pour un citoyen la façon la plus simple d’influer sur le monde qui l’entoure. Les placements solidaires se sont diversifiés et offrent aujourd’hui de multiples possibilités de donner du sens à son argent.

  • Texte : Éric Larpin Illustration : Wood,

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Savoir où circule son argent. Mieux encore, choisir qui cet argent peut aider. Ce sont les objectifs d’une finance solidaire qui prend tout son sens face aux crises sociales et environnementales. À l’heure où l’Union européenne tente d’orienter différemment les investissements des établissements financiers, en affrontant le lobbying des énergies fossiles, de nombreux acteurs plus modestes essaient de démontrer qu’une autre utilisation de l’épargne est possible. Ces circuits courts de l’épargne citoyenne financent une économie plus respectueuse de la planète et de ceux qui l’habitent.

On ne s’en rend pas forcément compte, mais agir sur la destination de son épargne est pour un citoyen la façon la plus simple d’agir sur le monde qui l’entoure. Placer un peu ou beaucoup d’argent dans un Cigales (club d’investisseurs pour une gestion alternative et locale de l’épargne solidaire), dans une foncière solidaire ou une cagnotte des Amap (Associations pour le maintien de l’agriculture paysanne) a un effet démultiplicateur sur la solidarité et les emplois locaux. Il est toujours utile de consommer bio ou de circuler à vélo pour les futures générations, mais c’est encore plus efficace d’épargner solidaire.

L’aventure des circuits courts financiers a démarré dans les années 1980, avec des citoyens issus de mouvements alternatifs ou chrétiens qui souhaitaient se réapproprier l’utilisation de leur épargne, promouvoir des secteurs mal-aimés des banques (comme le bio, le commerce équitable ou le recyclage) et éduquer leurs pairs aux mécanismes économiques.

Ces premières expériences ont pour nom Cigales, Clefe (clubs locaux d’épargne pour les femmes qui entreprennent), La Nef, Herrikoa ou Autonomie et solidarité – les premières sociétés de capital solidaire régional – et Habitat et Humanisme. La dynamique ne s’est jamais rompue. Elle a même été renforcée après la crise financière de 2008 et la crise épidémique de 2020, où de plus jeunes ont pris conscience du rôle tenu par l’argent pour promouvoir d’autres modèles. Cela peut passer par des plateformes de financement participatif, de nouvelles formes de circuits courts dans lequel un clic peut aider une personne à l’autre bout du monde.

Pour Patrick Sapy, directeur général de Fair (« Financer, accompagner, impacter, rassembler », association qui regroupe les acteurs de la finance à impact social et qui labellise la plupart des produits cités), « les circuits courts solidaires sont l’essence même de la finance à impact. Ils sont d’ailleurs présents, comme les Cigales, l’Adie et France Active, à la création de l’association Finansol, devenue Fair il y a deux ans ». L’an dernier, d’après les chiffres du baromètre Fair-La Croix, les financements directs dans les entreprises solidaires représentaient un milliard d’euros, comparés aux 26 milliards de la collecte totale.

Les Cigales ou les Clefe demeurent exemplaires pour qui cherche à optimiser l’utilisation de son argent vers des plus- values sociales et environnementales plutôt que spéculatives. Les clubs Cigales sont cette année au nombre de 200, regroupant plus de 2 000 épargnants solidaires dans toutes les régions. « 100 % de la collecte est investie dans des entreprises solidaires, souligne Mickaël Barth, jeune co-président de la Fédération des Cigales. Ça continue d’intéresser du monde alors que nous allons fêter nos 40 ans. Les Cigaliers peuvent aller manger dans le restaurant bio ou la boulangerie qu’ils ont financés ; idem pour la librairie ou le commerce de textile équitable qu’ils ont aidés. Ils peuvent mesurer l’impact qu’a leur argent sur l’emploi et leur environnement. » Et cela peut démarrer avec 10 € par mois (pendant cinq ans, la durée légale des clubs) : c’est en mettant ces sommes à plusieurs et aussi avec deux, trois ou cinq Cigales de concert, pour des projets plus importants, comme les parcs éoliens, que l’effet est rendu visible.

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De leur côté, les Clefe du Pays basque ont aussi pris la forme de clubs d’épargnants, mais ils font du prêt et pas de la prise de participation au capital. « Notre système s’apparente plus à celui des tontines, précise Chantal Torre, qui a été à l’origine de l’implantation des Clefe au Pays basque. On avait déjà l’expérience d’Herrikoa, qui montrait qu’on pouvait collecter de l’argent local pour des initiatives locales. On a ce fonctionnement depuis trente ans, avec des dizaines d’entreprises créées par des femmes qui ont pu voir le jour. Comme les Cigales, on organise une solidarité financière entre des habitants qui ont de l’épargne à un moment de leur vie et des entrepreneuses qui ont besoin de ressources pour se lancer. » Les uns et les autres créent des cercles vertueux, avec les remboursements des premiers prêts ou des premiers investissements qui profitent aux entreprises suivantes.

Comme dans le commerce équitable, qui met en avant les circuits courts et limite les intermédiaires, l’épargne citoyenne s’est dotée de foncières solidaires, dans lesquels les épargnants conservent une voix prépondérante. C’est le cas de Villages vivants, qui ranime l’activité des petites villes, comme de Solifap, qui construit du logement d’insertion. « Aujourd’hui, nous avons des institutionnels, comme la Caisse des dépôts, dans notre capital, mais dans nos levées de fonds actuels, nous voulons accroître la part des citoyens », détaille Sylvain Dumas, un des créateurs de Villages vivants.

« La présence des particuliers dans les foncières est importante, complète Antoine Anquetil, responsable du développement de Solifap. Ils conservent la dimension militante que parfois les techniciens perdent un peu. » Dans les circuits courts, il existe un tas d’autres modalités où des collectifs se montent pour défendre, avec des cagnottes, la création d’une ferme, d’une entreprise locale ou d’une salle de spectacle. C’est ce qu’on appelle la love money, celle qui est à proximité et qui fait émerger des beaux projets. Pour ceux qui veulent se lancer, les placements solidaires offrent de multiples possibilités. Tour d’horizon dans ce dossier.

Vous voulez… Combattre le mal-logement

L’an dernier, Anna Akre a passé plusieurs mois à la rue en banlieue. Elle a laissé ses deux enfants en Côte d’Ivoire pour trouver du travail en France, mais elle n’avait pas de toit avant qu’une assistante sociale ne l’oriente vers Emmaüs Solidarité. Coup de pouce du destin, l’association était en train d’ouvrir un centre d’hébergement d’urgence (CHU) dans le 14e arrondissement parisien, quelque temps avant Noël.

Soixante femmes isolées y sont accueillies, grâce à une opération menée avec Solifap. La foncière de la Fondation Abbé-Pierre a acquis cet ancien foyer d’hébergement géré par l’Institution thérésienne pour en faire une pension de famille, d’ici à deux ans. En attendant, dans cet immeuble parisien, Emmaüs Solidarité a pu installer un CHU temporaire, avec une équipe d’une dizaine de travailleurs sociaux.

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Les investissements immobiliers réclament des sommes conséquentes, mais Solifap a fait une place particulière aux épargnants militants, qui représentent 8 % de son capital de 75 millions d’euros. Quand elle a entendu parler des actions concrètes rendues possibles par l’achat de parts de Solifap, Sarah Thomine-Desmazures, conseillère en communication, elle-même maman de deux enfants, n’a pas hésité longtemps à y épargner 20 000 €. Il faut dire qu’elle exprime sa foi autour de l’accueil.

« Depuis plusieurs années, je participe à l’opération Hiver solidaire de la paroisse Saint-Vincent-de-Paul à Paris, raconte la jeune femme. Dans des locaux de l’église, des bénévoles comme moi accueillent pendant trois mois des personnes à la rue et surtout des migrants. On est toujours inquiet sur ce qui se passe après l’hiver. Mettre de l’épargne dans Solifap est une petite réponse à cela. On a le pouvoir de faire des choses concrètes avec son argent. »

Comme le centre d’hébergement de la rue Léopold-Robert, où 60 femmes (certaines avec leurs enfants) ont retrouvé le sourire. « Avoir un toit m’a permis de retrouver du travail, souligne Anna Akre. Je m’occupe des enfants des autres. Je participe aussi aux activités de l’immeuble et aux rencontres avec les voisins. » Elle est devenue présidente du conseil de la vie sociale, une instance qui favorise la prise de parole des personnes hébergées. Depuis cet été, elle représente aussi les femmes du 14e au sein de l’association Emmaüs.

Vous voulez… Développer les énergies durables

Quand les premières éoliennes ont commencé à pousser en Bretagne, certains habitants ont considéré qu’ils avaient tout intérêt à se saisir eux-mêmes du sujet pour éviter les dérives environnementales et capitalistiques. Dès 2006, un groupe d’irréductibles citoyens du Mené, dans les Côtes-d’Armor, a décidé de lancer son propre parc éolien et d’en garder la maîtrise. Pour y parvenir, ils se sont appuyés sur la constitution de clubs Cigales, des clubs d’épargnants locaux.

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« Habituellement, les Cigales font une petite collecte mensuelle d’épargne pour financer plusieurs projets, décrit Gilles Aignel, un salarié d’Orange qui a été à l’origine du montage. Pour l’éolien, on avait besoin de beaucoup plus. On a donc créé huit Cigales avec 137 habitants qui ont versé entre 2 000 et 10 000 euros et qui acceptent de l’immobiliser pendant quinze ans. » S’inscrire dans un temps plus long, une particularité de cette finance. Mais les investisseurs ont déjà commencé à toucher des intérêts de leur placement.

Cet engouement citoyen a abouti à l’inauguration de sept éoliennes en 2013. Les Cigales détiennent 30 % du capital de la société qui les gère aux côtés de Sicap, une société de fourniture d’électricité à taille humaine, qui assure que l’électricité produite est consommée sur place. Ce dont s’assurent les Cigaliers toujours présents en nombre lors des assemblées générales. Comme Gilles Rault, sociologue de profession et habitant de Saint-Gouéno, où sont installées les éoliennes.

« Nous voulions tous montrer qu’on pouvait faire de l’éolien autrement, dit-il, en respectant l’environnement et en associant les habitants à la décision. À part les Cigales, on n’a pas beaucoup d’outils pour cela. » L’outil a été ressorti en 2022 pour un nouveau projet de cinq éoliennes, toujours dans la nouvelle commune du Mené. Comme la fois précédente, des réunions publiques ont été organisées pour expliquer les détails du projet. Avec encore plus de succès. Cette fois-ci, dix Cigales ont rassemblé 152 citoyens pour une collecte de près de 1 million d’euros. Le projet attend les dernières autorisations administratives pour sortir de terre d’ici à deux ans, toujours avec les deux Gilles comme membres actifs. Et depuis, d’autres rencontres entre investisseurs citoyens et projets éoliens ont démarré ailleurs en France.

Vous voulez… Favoriser le développement local

Cela fait tout juste un an que La Tournée générale redynamise le centre bourg de Fontannes, en Haute-Loire. À cette petite ville de 900 habitants, il manquait une épicerie depuis longtemps. Marie-Claire Pignol et Marjolaine Villuendas, deux habitantes des lieux issues du commerce bio, ont décidé de relever le défi avec l’appui de Villages vivants, une foncière solidaire qui a racheté un local de 120 m2 pour le mettre à leur disposition.

Au pied de l’église, la boutique n’est pas la franchise d’une grande chaîne de distribution, mais bel et bien une agréable épicerie qui met en valeur l’Auvergne, des fromages aux charcuteries en passant par des produits d’hygiène fabriqués à proximité. C’est aussi une « grignoterie » et un lieu d’animation. « Pour consolider notre activité, précise Marjolaine Villuendas, nous avons choisi pour le moment de rester salariées du Caap, une coopérative d’activités qui nous accompagne et qui nous rémunère en fonction de notre chiffre d’affaires. »

La Coopérative auvergnate de l’alimentation de proximité (Caap) a joué un rôle décisif pour La Tournée générale, en l’orientant vers Villages ­vivants. « Sans cette épargne citoyenne, on n’aurait jamais pu accéder au local, reprend Marie-Claire Pignol. Ils nous ont aidées aussi pour les travaux, tout en respectant notre projet. » Au total, l’achat et les travaux nécessitaient 70 000 € et il fallait l’équivalent, qu’elles ont pu financer, pour les équipements et la chambre froide.

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Villages vivants est aussi une coopérative, une Scic, dont les parts sociales et les titres peuvent être achetés par des institutionnels et par des particuliers, comme Raphaëlle Vital-Durand, une jeune femme en formation sur l’alimentation durable à l’Institut Agro Montpellier, aussi sensible au développement local qu’aux circuits de l’argent. « On ne s’en rend pas compte, mais là où on a réellement un impact en tant que citoyens, c’est là où on place notre argent, décrit-elle. Sans argent, les banques ne peuvent pas faire de prêts aux énergies fossiles, alors que la reprise d’une boulangerie, la création d’un hôtel ou d’une épicerie, ça améliore la vie quotidienne. J’ai acheté 1 000 € de parts sociales il y a deux ans et j’ai vraiment un rôle dans les prises de décision de Villages vivants en participant aux réunions. » De l’épargne de Raphaëlle Vital-Durand à La Tournée générale, Villages vivants crée un modèle vertueux. Comme le rappelle Marjolaine Villuendas, « en payant les loyers, qui sont remis dans le pot commun de la foncière, on aide aussi d’autres projets ».

Vous voulez… Encourager un autre modèle d’agriculture

Quand Jean-Paul Morciello a créé sa nouvelle Amap en 2019, il avait déjà une longue histoire dans le soutien à l’agriculture paysanne, en étant même un des initiateurs de la première cagnotte solidaire en Île-de-France, cinq ans auparavant. Lui et les autres cagnotteurs sont en effet persuadés que s’abonner aux paniers des producteurs et des maraîchers en Île-de-France ne suffit pas toujours et qu’ils peuvent donner un coup de main financier en plus.

« Le principe est simple », explique Jean-Paul Morciello, gérant de la cagnotte Le Bonheur est dans le prêt dans les Yvelines, « on part des besoins financiers des producteurs pour de l’achat de petit matériel ou pour leur trésorerie. Si la cagnotte constituée en association valide la ­demande, la collecte est lancée sur notre site auprès de tous les abonnés en Île-de-France. Généralement une quarantaine de personnes versent de 20 à 500 € pour remplir la cagnotte en quelques semaines. » Cela correspond à des demandes en urgence que les banques ne peuvent pas satisfaire et qui évitent à certaines récoltes d’être perdues.

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En une dizaine d’années, la cagnotte de Saint-Quentin-en-Yvelines a aidé des producteurs locaux à dix reprises. Robert Pirès, maraîcher installé à la Ferme de la Closeraie, à Magny-les-Hameaux, en a bénéficié trois fois. Sous le chaud soleil de septembre, il court entre son tracteur et les serres installées d’ailleurs avec des Amapiens. « La première fois, c’était pour du petit matériel agricole, les deux autres pour le fonds de roulement, rappelle-t-il. Il n’y a pas seulement l’aspect financier, mais on crée aussi des relations avec ceux qui peuvent nous aider autrement, en désherbant ou en construisant le bâtiment de stockage où nous sommes. »

Avec trois cagnottes de 7 000 € en moyenne, Robert Pirès a pu consolider son activité et embaucher une salariée il y a quatre ans. Il fournit 60 paniers de légumes pour trois Amap. « Nous avons lancé ces cagnottes pour aider tous les maraîchers, même ceux qui ne sont pas liés à notre Amap », complète Jean-Paul Morciello. Sa nouvelle Amap Saint-Martin, à Voisins-le-Bretonneux, a financé la troisième cagnotte, sans être abonnée aux paniers. Elle est issue de la démarche « Église verte » de la paroisse Saint-Martin, qui a décidé il y a quatre ans de la création de sa propre Amap.

Vous voulez… Soutenir les projets culturels

C’est trop souvent le lot des petites villes et Audenge, commune du bassin d’Arcachon, n’échappe pas à la règle : elle n’avait pas sa librairie. Du moins jusqu’à cet été, où Émilie Peyroulet a ouvert La Petite Parenthèse, qui est en plus un salon de thé et un lieu d’animation, notamment autour des questions de l’inclusion et du handicap. Une librairie toute neuve, en rez d’immeuble, à deux pas du château d’eau et de l’antique lavoir.

Timeo y a déjà ses marques, dans le rayon de mangas. Il est le jeune fils d’Audrey Peyramaure qui vient là au moins une fois par semaine : « Avant l’arrivée d’Émilie (ici, on appelle la libraire par son prénom, NDLR), j’achetais mes livres dans les grandes surfaces, ou je les empruntais à la médiathèque. À La Petite Parenthèse, c’est plus pratique et c’est plus sympa. » La jeune hôtesse de caisse a voulu aller plus loin dans son soutien, en participant modestement à la campagne de financement participatif du site J’adopte un projet, qui a référencé la librairie.

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Le site a été créé par des financeurs solidaires de Nouvelle-Aquitaine (Cigales, Crédit coopératif, France Active, Adie) pour former des tours de table citoyens. Le mois dernier, La Petite Parenthèse a atteint son premier palier de 2 000 € de dons, grâce à de nombreux habitants du petit port. Cela va permettre à Émilie Peyroulet de faire de nouveaux travaux et d’améliorer son enseigne.

« En tant qu’ancienne éducatrice spécialisée, je tenais à faire la promotion de livres sur l’inclusion, explique la libraire. Et aussi à aménager une boutique conviviale, avec des espaces où on peut se poser. Tout cela a un coût, même si pour la seule partie librairie, qui a des marges très faibles, j’ai eu des aides de l’État et des collectivités. J’ai obtenu des prêts bancaires, mais pour un besoin de financement de 140 000 €, je savais que je me tournerai en plus vers des financeurs solidaires. » Initiative France lui a accordé un prêt d’honneur de 6 000 € et France Active Gironde une garantie sur les emprunts bancaires. Ils l’ont aussi accompagnée pour bien démarrer son entreprise et lui ont conseillé de faire cette campagne fructueuse sur la plateforme solidaire J’adopte un projet.

Vous voulez… Donner un coup de pouce aux femmes entrepreneuses

Le Pays basque aime cultiver ses particularismes. En matière de circuits courts financiers s’y épanouissent l’eusko, la première monnaie complémentaire d’Europe, Herrikoa, une des premières sociétés de capital solidaire en France et les Clefe, des associations qui prêtent aux femmes entrepreneuses. « Je fais partie d’une génération qui a lancé les premiers Clefe dans les années 1990 », indique Jean-Michel Letchaureguy, à Saint-Jean-le-Vieux, lors d’une réunion de relance des Clefe cet été avec l’association Andere Nahia, qui soutient elle aussi l’entrepreneuriat des femmes. « On a démarré avec des francs ! »

Tous ces pionniers restent persuadés de l’intérêt des clubs d’épargne pour des projets qui peuvent paraître fragiles au départ. Marie-Luce Garat connaît bien les deux faces de leur fonctionnement : « Avant d’ouvrir mon entreprise, j’ai assisté à une réunion de présentation. Comme je n’étais pas complètement prête à démarrer, j’ai commencé à épargner 30 € par mois dans le Clefe pour d’autres entreprises. On donne de l’argent mais aussi des conseils, et on crée un réseau économique. »

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Une fois que le projet de Kolorez, un atelier de décor peint et de dorure à Saint-Martin-d’Arberoue, a été mûr, elle a pu solliciter à son tour 6 000 € pour ses premiers aménagements. « C’était vital pour mon entreprise, car la banque ne voulait pas m’accorder d’emprunt supplémentaire », souligne Marie-Luce Garat. Pour l’aider, les épargnants locaux avaient créé un Clefe dédié : l’intégralité de la collecte d’épargne lui était consacrée. Mais en général, un Clefe soutient plusieurs projets après avoir épargné pendant un ou deux ans, de 10 à 50 € par mois.

L’épargne se reconstitue aussi avec les remboursements des entrepreneuses, le plus souvent sans intérêt ou au taux du livret A pour les prêteurs. C’est comme cela que les Clefe s’inscrivent dans la durée. Le Clefe de Mauléon de Jean-Michel Letchaureguy a ainsi aidé 70 entreprises locales en près de trente ans. « Tout le monde a remboursé, se réjouit le retraité de la Sécurité sociale. C’est comme ça qu’on peut prêter pour d’autres projets, des magasins, des restaurants, de la production de spectacles. Collecter de l’épargne locale pour des projets locaux, ça maintient l’activité sur notre territoire, spécialement pour les femmes qui n’ont pas toujours accès aux moyens de financement bancaire. » Et comme les banques sont aussi réticentes vis-à-vis des jeunes, les Basques ont lancé il y a quelques années les Clej, des clubs locaux d’épargne pour les jeunes, une autre innovation régionale !

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