Si tous les regards sont tournés vers Gaza et Israël en cette période si dramatique, la vie dans les territoires occupés de Cisjordanie, et plus précisément ici à Bethléem, est comme en sursis. La plupart des magasins sont fermés et l’approvisionnement alimentaire reste incertain ; les check-points sont fermés, ce qui empêche des milliers de personnes de travailler ; les hôtels sont fermés, privant ainsi de nombreuses familles d’un revenu mensuel ; les visages, eux, luttent pour ne pas se fermer et les cœurs d’autant plus.

La situation ressemble à une suspension dans le vide de l’inconnu. Si au tout début chacun retenait son souffle face au drame qui se déployait si violemment sous nos yeux, les choses semblent s’être désormais figées dans une tension qui nous use et nous fatigue.

Un message de notre évêque

Ce matin je reçois un message de notre évêque syrien-catholique de Homs en Syrie, Mgr Jacques Mourad qui avait été pris en otage par Daesh en 2015 : « Il y a un besoin d’amour, non de violence, reconnaître la souffrance de l’autre est le premier pas. » Cela me fait chaud au cœur. Là où nous nous trouvons, chaque marque d’attention fait l’effet d’une grâce divine offerte par ceux qui nous aiment. Je relis le message et, oui, le piège est bien là. Celui de succomber à la violence et de se retrouver au dehors de notre humanité, celui de ne plus pouvoir voir celle des autres.

Et le Christ ne nous demande pas d’aimer un « autre » à la consonance anonyme, mais cet autre qui est notre « prochain », c’est-à-dire celui, celle qui est là tout près de nous et avec qui nous vivons. En cette période, la tentation du rejet de l’autre est devenue encore plus forte qu’elle ne l’était déjà, l’autre différent, l’autre étrange, l’autre dangereux, l’autre aux adjectifs qui n’en finissent plus. Cette tentation nous guette comme Caïn guettait Abel, cachée et prête à bondir de derrière nos peurs. L’envie de partir loin, elle aussi, s’intensifie. En Terre sainte, nous chrétiens, sommes le petit troupeau et après chaque drame s’ensuit une vague d’exil réduisant encore plus le nombre de fidèles.

Une visite dans la Vieille Ville

Au cours de l’après-midi, avec l’un des diacres de notre paroisse, la paroisse syrienne-catholique St-Joseph de Bethléem, nous sommes allés visiter une famille dans la Vieille Ville afin d’apporter la communion à l’un de ses membres qui n’est toujours pas en mesure de se déplacer. Nous nous sommes retrouvés une petite dizaine, tous assis dans le salon, les familles aimant comme dans beaucoup d’autres endroits au monde se retrouver ensemble les dimanches après-midi. Après des échanges sur la situation arriva le temps de la prière.

On éteignit le poste de télévision, chacun se redressant sur le bord des sofas agencés en demi-cercle et nos voix s’élevèrent doucement louant le Seigneur pour ses bienfaits. Dans le rite syriaque, prier et chanter se confondent et s’enlacent. J’ai alors tout de suite été touché par la présence de chacun, présence qui se voulait plus marquée que d’habitude et qui dégageait un sentiment de profondeur et de plénitude.

Vint le moment de la communion et se dessina sur le visage des personnes présentes cette envie, ce besoin du Christ, reconnaissable entre tous. D’une personne invalide pour se rendre à l’église, voilà que s’ouvrait, devant les hosties consacrées que j’avais apportées avec moi, le cœur d’une nièce, celui d’un oncle, d’une tante, d’une sœur qui, eux aussi, désiraient recevoir le corps du Christ. La maison dans laquelle nous nous trouvions se changea soudainement en Église. Notre petite assemblée est comme devenue une icône des premiers chrétiens qui priaient chez eux, précisément ici même en cette Terre sainte.

Miracle de la paix

À Bethléem, il est si naturel de prier la Vierge Marie dont les statues posées sur les tables de ces maisons sont très souvent recouvertes de chapelets ; l’on prie aussi saint Charbel dont les images pieuses semblent s’être invitées ces dernières années dans chaque foyer chrétien et parfois même non chrétiens du Moyen-Orient. Les prières pour la Vierge, celles à saint Charbel, c’est aux miracles que l’on aspire si fortement. Bethléem n’est-elle d’ailleurs pas la ville de celui de l’Incarnation ?

Alors aujourd’hui, pourquoi pas les miracles de la guérison et de la paix ? Les prières jamais ne s’achèvent et de fait, à travers elles, chaque jour le plus grand miracle a lieu, celui de la résurrection, le miracle né de nos peurs et de nos tentations de nous renfermer sur nous-mêmes. Le miracle de la résurrection qui chasse les colères, les impulsions de vengeance, les haines anonymes. Les visages alors s’ouvrent et esquissent les sourires de la paix du Christ qui, du cœur de la pauvreté dans laquelle nous vivons, tel un trésor à partager, nous enveloppent.